La crise migratoire haïtienne, et en particulier la question des relations avec la République dominicaine, révèle non seulement les dysfonctionnements systémiques d’Haïti, mais aussi les réalités stratégiques auxquelles est confronté le Conseil présidentiel de transition (CPT). Alors que des voix s’élèvent pour dénoncer l’apparente inaction du CPT, il est essentiel de se demander si ce silence est le signe d’une impuissance institutionnelle ou d’une approche stratégique plus complexe.
Contrairement aux interprétations dominantes, ce silence pourrait être considéré comme un calcul politique dans un contexte où Haïti est profondément dépendant de ses voisins, en particulier de la République dominicaine. La fragilité économique et institutionnelle d’Haïti, exacerbée par de multiples crises internes, pourrait pousser les dirigeants actuels à choisir une posture de retenue. Il ne s’agit pas d’une question de négligence ou d’indifférence, mais plutôt d’une stratégie visant à éviter de nouvelles tensions avec un voisin dont la coopération est cruciale pour certains secteurs économiques haïtiens.
La position du président de la CPT, Leslie Voltaire, peut être interprétée dans ce sens. Loin d’être un simple gage de dépendance, ses voyages réguliers en République dominicaine pour des raisons de santé pourraient refléter la réalité de la relation d’interdépendance entre les deux pays. Face à l’effondrement du système de santé haïtien, il est difficile pour les dirigeants eux-mêmes de se déconnecter de cette réalité. Cependant, cela soulève également une question fondamentale : comment les dirigeants peuvent-ils gérer cette interdépendance tout en défendant les droits de leurs citoyens sans détériorer les relations bilatérales ?
Dans ce contexte, la gestion de la crise migratoire par le CPT pourrait être une tactique plus subtile, visant à apaiser les tensions afin d’obtenir des concessions sur d’autres fronts. Les relations internationales sont souvent un exercice d’équilibriste, où des gestes soudains peuvent avoir des répercussions inattendues. Haïti, dans sa situation de vulnérabilité actuelle, n’a peut-être pas les moyens d’affronter directement la politique migratoire stricte de la République dominicaine.
Cela dit, cette posture de silence stratégique n’est pas exempte de critiques. À l’heure où les droits des Haïtiens sont systématiquement violés de l’autre côté de la frontière, l’absence de réponse officielle forte peut donner l’impression que le gouvernement est déconnecté des réalités auxquelles son peuple est confronté. Le risque pour le Conseil présidentiel est que son silence soit interprété comme une abdication de ses responsabilités envers les citoyens qu’il est censé représenter.
Le dilemme auquel est confronté le CPT met en lumière une réalité incontournable : Haïti se trouve à un tournant où la dépendance vis-à-vis de ses voisins doit être confrontée à la nécessité de réaffirmer sa souveraineté et de défendre ses citoyens, sans compromettre ses fragiles alliances régionales.